Sunday, January 25, 2015

Ecrire

Ecrire

Ecrire
dans la paix et l’ardeur 
d’une chambre d’écriture,
plume pointée vers l’horizon 
aux moments de pensée libre
plume pointée pour ne point
cesser d’écrire

Ecrire,
seule,
coupée du monde,
coupée des voix humaines qui s’élèvent dans le parc,
coupée de l’angoisse qui surgit dans mon coeur,
chassant l’angoisse hors des paramètres 
de l’écriture;
écriture, seule liberté du jour

La solitude de l’écrit,
ce moment où l’âme dégage son cri,
on ne peut la partager avec personne,
personne;
ce moment où l’âme se met à nu, 
où l’âme porte à son insu
le flambeau de sa destinée,
il faudra le retrouver mille fois
et mille encore
chaque fois que mes doigts rencontrent
la feuille d’écrit,
chaque fois que les voix se taisent 
autour de moi,
-dans ma tête se taisent;
ne se taisent jamais en vrai-
la feuille décrit
ce que ma bouche feint de dire

Yonca, Janvier 2015   

Wednesday, October 1, 2014

Istanbul brûle

Istanbul brûle

Istanbul brûle
sous la chaleur
d’un ciel brouillé.

Je traverse l’avenue à toute allure;
derrière moi,
le souffle grisé,
alcoolisé d’un
mutilé.
Il s’avance lentement,
faute d’une patte perdue,
et fume à coups rapides,
comme s’il voulait rapetisser sa douleur
à mesure que les cendres
se consument.

Entre ses dents,
grince une chanson d’autrefois,
mais les paroles se dissolvent
dans ses pas de béquilles,
fermes et soudains,
telle sa fumée.

Je suis fascinée par la mélodie
que dégage cette personne,
et je voudrais m’arrêter,
mais je me précipite d’avantage,
peut-être craignais-je son regard;
car dans ce pays,
le regard indigne;
ce pays où je fuis le regard
d’autrui,
ce pays c’est mon pays.

Dans la rue, les hommes
soufflent des obscénités aux
Oreilles des femmes;
Peu importe qu’elles soient ou non
Voilées,
L’esprit d’une femme
Est toujours à violer.
Peu importe qu’elles aient ou non
Provoqué,
Le corps d’une femme
Est toujours à déchiqueter,
Les membres d’une femme
sont à mutiler;
Certains usent de balles pour
pénétrer la femme
Mais un geste, en vérité, un seul regard
suffisent
pour baigner de peur le reste de leur voyage
et la honte d’être ainsi giflées et suivies
se glisse en elles comme une morve perverse.
Quelle est cette ville,
Et quel en est le mélange?

Je n’y ai pas de réponse
Car cette ville me blesse
Et pourtant, cette ville;
je la porte dans mes veines,
je l’apporte avec moi
la mémoire sereine.

Mais la mémoire n’est plus reine,
c’est la douleur présente qui l'a conquise;
la douleur de voir chaque jour
un peuple s’exterminer lui-même.

Galère que d’être jeune dans ce pays,
Galère que d’apprendre à connaître son corps;
Les filles de primaire se projettent déjà
en mariées,
«Maman, c’est le livre scolaire qui m’a dicté
d’ouvrir mes jambes quand Il l’aura souhaité. »

A l’école, la maîtresse initie un nouveau jeu:
«Monsieur le Ministre vous offre un très joli
 parcours, mes petits;
Dorénavant, ne vous en souciez plus,
votre avenir réside entre nos mains. 
Regardez le diagramme page 20,
votre avenir a été pile-poil tracé. »

Vos poignets ont été pile-poil
rasés

La mariée de onze ans s’étend sur le sol
Les têtes de ses camarades penchées sur ses seins
La maîtresse agite la main et les taureaux
S’élancent
Certains lui croquent les hanches,
D’autres lui arrachent la gorge
Enroulée de dentelle
« Il ne faut pas laver les mûres, ma fille
C’est le marchand de fruits qui me l’a dit;
Sinon le miel s’en écoule. »

Le sang de la mariée a été recueilli
Dans un seau de plage   
Peut-être s’en servait-elle dans son enfance;
Des fourmis flottent à sa surface,
Aplaties sur les mûres blanches
Que la mariée a fait tomber de
Son Panier
Il ne reste rien d’elle à présent
Qu’un tas d’os et un voile sur le carrelage;
Les yeux de la mariée,
Figés de douleur et d’alarme,
Embaumés de larmes,
Sont suspendus au plafond
Pour rappeler aux futures héroïnes
Que les mariées, au nom de la famille,
Sont chargées de se martyriser auprès de leurs
Maris.

Deux ouvriers se pointent
Brandissent en l’air leurs pinceaux
Barbouillent les vitres des cendres de la mariée 
Comme ça on n’aura plus besoin de rideaux;
Istanbul brûle sous la pâleur d’une nuit glacée,
Une mère pleure devant sa poêle
Les mouettes décrivent des cercles autour
Des rides de feu qui ont ceinturé le Bosphore,
Et ricanent de plaisir
Sur notre sort de mutilés,
Serviles créatures
Et martyrs dilapidés.

Yonca, Juin 2014